mercredi 13 avril 2011

Le petit trait qui clignote

Je suis venue te dire que je m'en vais.
Les mots auraient pu être griffonnés sur un papier déchiré dans le coin d'un journal. Mais ils s'affichaient en lettres claires et régulières sur l'écran blanc.
Ces derniers temps, elle ne savait plus comment réagir face à ce petit trait noir, d'à peine un centimètre de haut, qui clignote inlassablement sur la page blanche devant elle. A lui tout seul, il ébranle tout son monde. Son rythme régulier la presse et l'angoisse. Elle sent qu'il faut répondre, arrêter le clignotement. Nourrir le petit trait de lettres et de mots, noircir la page.
Mais elle n'y peut rien. Elle reste abasourdie devant le petit trait qui clignote. C'est un peu comme si elle paniquait. Que veut-elle dire, comment le dire ? Elle ne sait plus bien. Il y a eu les décès et les naissances. Dans tous les cas, son cœur s'est retourné et n'a jamais vraiment retrouvé sa place. Elle ne dissocie plus bien le léger et le grave, ses mots sont lourds, jamais tout à fait dans le bon sens. Elle a perdu ses repères mais surtout, surtout, la légèreté si épanouissante des premiers temps. La plume se traîne. Et ça n'était vraiment pas ça, le but du jeu. Alors, elle préfère dire qu'elle s'en va. Elle sait qu'elle reviendra, parfois, de temps en temps. Elle sera seule, sans aucun doute. On ne l'aura pas attendu. Mais c'est peut-être ainsi, débarrassée de son angoisse, qu'elle retrouvera l'envie. En attendant, elle libère le petit trait qui clignote. Elle le laisse continuer, le fidèle petit métronome, à attendre que légèreté et gravité s'équilibrent un peu mieux.

mardi 5 avril 2011

Le premier jour du reste de la vie

Il est couché dans son petit lit en plastique transparent. Sa toute petite tête un peu tournée sur le côté. Les yeux fermés. Sa bouche est parfaitement dessinée. Ses cheveux, ses doigts, tout est fin. Il commence sa vie. Il s'appelle Eliott. Demain, il sera pompier ou champion du monde. Aujourd'hui, un tigre se dessine sur son pyjama et la peau de ses parents constitue le seul refuge valable.

Le petit bébé qu'il a été semble bien loin. Et pourtant, avec un peu de concentration, on peut aisément imaginer quel enfant il a dû être. Culottes courtes et grandes chaussettes. Aujourd'hui, la voix est grave et forte. Son discours est jalonné de ces mots qu'on n'emploie qu'à partir d'un certain âge : "au début de ma carrière", "pendant les 20 dernières années de ma carrière"... Transmettre à ses petits-enfants des valeurs qui lui semblent capitales et un peu branlantes dans ce monde qu'il juge déshumanisé est devenu sa priorité. Il est engagé, convaincu qu'à son âge, il a tout à donner et le devoir de le faire. Militant pour la sauvegarde du patrimoine, investi dans la lutte contre le cancer dont il est ressorti, comme son épouse, il apprend l'italien à raison d'une demi heure de cours chaque matin. Il glisse des mots latins dans ses phrases et se passionne pour la Renaissance. Il pense qu'à tout moment, il peut être "rappelé" et qu'à ce titre, il y doit y avoir dans sa vie plus de place pour l'échange que pour la bataille.

Qui sera Eliott demain ? Quel grand-père sera-t-il dans 60 ans ? Eliott a tout à faire. Une vie entière à créer. Une vie pour comprendre que l'échange vaut mieux que la bataille. Une vie pour se trouver. Qu'Eliott soit préservé, au même titre que les Robin, Loup, Valentin, Marius, Thibault, Clémence, Sixtine et autres merveilles qui nous entourent.