jeudi 13 janvier 2011

Comment dire ? #3

Meilleure nouvelle année !

Les propositions s'amoncelaient sur le guéridon de l'entrée. Soirée cabaret, dîner sur une péniche, soirée folklorique dans une yourte, dîner chez machin, bidule, truc, déguisée pas déguisée, avec fruits de mer, sans fruits de mer, avec cotillons ou sans, avec foie gras toujours, avec champagne encore, la promesse de la bise à minuit - pourvu que l'on soit un chiffre pair. Les tentatives de séduction allaient bon train et chacun rivalisait de charme pour avoir ses faveurs. Cela donnait comme un sentiment d'écœurement avant l'heure. Le petit haut-le-cœur de l'huitre qui ne passe pas. Slurp.
Il y avait aussi cette petite phrase qui résonnait dans sa tête. Loin des invitations papier glacé ou des mails aguicheurs. "Passe le réveillon avec nous. La rue est plus chaude qu'on le pense." Elle avait vite refermée sa portière. Sa bonne conscience ne durait pas plus de quelques heures et elle rêvait déjà d'un bain chaud et des pré-soldes de son magasin préféré.

Un réveillon avec le Secours Catholique. Dans le froid, sans froufrou, sans chichi et sans blabla. La soupe chaude et le sourire. Fallait peut-être pas déconner quand même. Elle leur donnait déjà un soir par semaine. Mais celui du Réveillon... Et puis, ça n'est pas là qu'elle trouverait son Brad Pitt ni qu'elle étrennerait sa robe à paillettes impossible à porter les 364 autres jours de l'année. Elle pique en plus. Et puis, elle n'était pas Mère Thérésa non plus. Elle aussi avait le droit à ses moments de plaisir. Elle aussi pouvait avoir besoin de soutien. Les sans domiciles n'avaient pas le monopole de la déprime. Et puis, ça allait être l'orgie de vin chaud et de vieux souvenir ratatinés. Elle reviendrait avec un bourdon d'enfer. Et comment souhaiter une bonne année à ces personnes. Eux, là-bas, par terre et dans le froid. Bonne année ? N'était-ce pas indécent ?

Mais la soirée fut délicieuse. Les soupes étaient chaudes et les sourires étaient sincères. Peut-être parce que les embrassades étaient les seules de l'année. Ou parce que la perspective d'une nouvelle année, c'était un peu l'espoir que la vie change. D'autres refusaient, fuyaient en voyant arriver la camionnette, c'est vrai, mais quand même, ceux qui restaient avaient envie, vraiment envie que l'année soit bonne, la leur comme la vôtre.
Et il y avait cette femme. Les cheveux abîmés et les vêtements élimés. Mais Dieu que ses joues étaient douces. Ces deux bises pour souhaiter une bonne nouvelle année, une meilleure nouvelle année, n'étaient-elles pas les deux plus douces bises qu'elle avait jamais reçu ? Des joues douces comme celles d'un poupon.

2 commentaires:

  1. Quelques-unes, quelque part, ont vécu cela. Un bel hommage que celui que tu rends au dévouement de ces belles personnes...

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  2. On ne voit bien qu'avec le cœur.
    C'est ça le secret du petit renard !

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