lundi 13 septembre 2010

Je suis, je me présente : l’autorité incarnée

A Cantenay-Epinard, petit village du Maine-et-Loire, à quelques kilomètres d’Angers, un lundi après-midi de Septembre, vers 15 heures, au bord de la Mayenne, alors que le soleil est doux et le ciel bleu et à peine moutonné. L’herbe est verte et l’on y découvre quelques jolies fleurs qui laissent penser que cela pourrait bientôt être le printemps. Des fleurs jaunes qui ressemblent à des pissenlits mais qui ne doivent pas en être. Des fleurs violettes ravissantes mais dont, comme pour toutes les belles plantes, je me méfie. Il y a quelques promeneurs. Vacanciers en décalage, jeunes retraités… Ils ont un chien, un livre, un bâton de marche. Ils parlent peu mais vous rendent vos bonjours polis. Il y a toujours, dans un coin, sur une barque bancale, un pêcheur. Lui, pas la peine de chercher, il pêche. Et c’est tout. Il ne parle pas, il ne lit pas, il ne regarde pas le paysage. Il pêche. Et potentiellement, il peste dans sa barbe contre la poufiasse qui vient promener son chien de l’autre côté de la rive et qui, cela semble évident, jouit d’une autorité envers son chien toute toute toute relative.

Bon, la poufiasse, c’est moi. Et je suis heureuse de vous annoncer que je suis l’autorité incarnée. Ne cherchez plus.

Notre golden retriever se nomme Brinkley. Au fil du temps, son nom a quelque peu évolué.
- A l’âge où Brinkley pensait que pisser au milieu de la cuisine (ou de la boutique du commerçant du rez-de-chaussée) était tout à fait autorisé, au même titre que creuser un trou dans le mur du salon ou détruire les haies du jardin, son nom a été « Brinkley non ! », les deux vocables n’étant que très rarement dissociés.
- Avec le temps, « Brinkley non » est devenu « Brinkley, sors de là », formule répétée à longueur de temps à destination de ce brave chien qui, par le plus grand des hasards, se trouve systématiquement dans votre passage.
- Au « Brinkley, sors de là », qui semble avoir de beaux jours devant lui, peut parfois se substituer le « Brinkley / Brinkley / Brinkley ». Lui, c’est le nom de la balade. Trois fois. Il faut a minima répéter 3 fois son nom pour que l’animal daigne lever une oreille vers vous et, potentiellement, obéir à l’ordre qui suit : « sors de là, « non », « donne », « au pied ». Et j’ai bien tenté de plaider pour un problème auditif de naissance mais étrangement, quand le nom est prononcé depuis la cuisine, l’animal rapplique dès la première énonciation…

Mais je voudrais partager avec vous mon talent époustouflant pour l’éducation canine et les ficelles de mon autorité innée. LA règle la plus importante, quand on veut éduquer son chien, c’est d’avoir des codes clairs, nets et précis. Les seuls et uniques. « Au pied », « pan, t’es mort ! », « assis », « couché », « non », « sors de là », « au panier ». Voilà le secret. Des codes répétés depuis toujours, des codes courts, des codes clairs, de vrais sésames.
Aujourd’hui, sur les bords d’une Mayenne paisible et silencieuse, j’ai pour ma part pu tester l’efficacité de ces codes. J’ai dû, approximativement, crier 12 446 fois « Brinkley ». 12 443 tentatives ont dû échouer.
J’ai pourtant tenté toutes les feintes d’autorité :
- l’ironie (absolument sans succès) : « Brinkley, tu es vraiment d’une obéissance folle. Ah, ah, ah ! Allez, reviens maintenant. »
- l’agacement : essentiellement à base d’onomatopées (« rrrhhh », « ggrrrr »…). Visiblement, le chien ne connaît pas l’onomatopée.
- la colère : « Bon Brinkley, c’est la dernière fois que je t’appelle. On rentre ! On rentre, finie la balade. » Variante « très en colère » : « Demain, c’est SPA ! Et on ne discute pas ! »
- la menace : « Bon, cette fois-ci, ça suffit, je vais appeler papa. Aaaattention, je prends le téléphoooone…. Aaaaattention, je compose le numérooooo…. Tu ferais mieux de revenir tout de suiiiiite… ! »
- la douceur : « Viens ma fifille. Allez viens ma poupée, viens voir maman… »
J’ai même imaginé avoir oublié mes pieds à la maison, ce qui aurait parfaitement légitimé le fait que Brinkley ne comprenne pas l’ordre qui s’y réfère. Mais je dois d’incliner. La raison est ailleurs… Mon autorité flanche depuis quelques temps… Je dois bien l’avouer… Je ne suis plus sur la première place du podium. On va me retirer ma licence.

Petit quart d’heure de gloire cependant : le passage à la pharmacie. Parce que dans une pharmacie - sauf trèèèès mauvaise pharmacie - il n’y a pas d’oiseaux à faire semblant d’attaquer, pas de bonne odeur de pisse à renifler, pas de bon gros caca à lécher, pas de brins d’herbe à maltraiter, pas d’eau dans laquelle se jeter, pas de vieux restes de sandwich pourri à terminer, pas de boue dégueulasse dans laquelle se bauger. Dans une pharmacie, il n’y a rien qui intéresse un chien, même Brinkley. Là, les codes résonnent immédiatement dans le petit cerveau du chien. Et vous, maître tout puissant, vous jouissez d’une autorité par-faite. Assis, debout, couché, attends, fais le beau, donne la patte, roule, parle, dors… Le chien obéit à tout, le pharmacien est impressionné, la pharmacienne vous questionne sur la race, la stagiaire le caresse d’un air attendri, la cliente commente la scène avec l’éternelle phrase « C’est un chien malheureux ça ! » Et vous sortez de la pharmacie, tirant fièrement de votre botte secrète l’ultime ordre. Celui qui en jette, celui qui ferait pâlir de jalousie le Mario Luraschi des chiens, celui qui finira d’assoir votre totale, parfaite et incontestable autorité : « Derrière ! » Là, l’animal recule, attendant votre passage pour s’engager à son tour dans la porte.
Et vous repartez, le buste bombé, fier pour l’éternité.

3 commentaires:

  1. C'est bien elle, cette chère poupouille adorée de son papy! (à ce sujet, faîtes gaffe, maintenant, il envisage de se déguiser en portail...)

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  2. On a la même à la maison. En plus quand la voisine promène son chien et qu'elle le rappelle : Ulysse vient ici ! C'est Amazone qui réplique, à ses pieds, toute frétillante.
    Des vraies chippies.

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